Comment le mouvement punk a-t-il influencé les raves party d’aujourd’hui?

par Clément Blagny
Rave party à l'esprit punk © Matthew Smith

Qu’il s’agisse de new wave, de jungle ou encore de punk, la richesse musicale du Royaume-Uni ne passe pas inaperçue. C’est de celle-ci que découlent différents artistes qui ont construit un mouvement alliant liberté musicale et énergie débordante, dont l’influence est plus considérable qu’on ne le pense aujourd’hui! Caractérisées par le contexte tendu entre le gouvernement et le monde de l’électro, les années 1990 ont constitué un véritable tournant dans certains mouvements. 

Un contexte tendu à l’époque

Juillet 1994, une manifestation violente et attirant toute l’attention de la presse bat son plein dans les rues de Londres. Pour cause ? Une modification d’une loi actée quelques années auparavant interdisant les raves organisées. Les choses ont débutées en 1987 alors que Margaret Thatcher – la Dame de Fer – pousse les clubbers à trouver de nouveaux moyens de faire la fête en fermant les clubs à 2:00 du matin. Certains s’en sont accommodés, d’autres ont suivi d’autres horizons. Pour ceux restés sur place, il a donc fallu s’adapter et créer un nouvel espace de joie et de désinhibition, hors des règles fixées à l’époque. Pour D.A.V.E The Drummer, le Justice Act -NDLR la loi sur la répression des rave parties- a clairement été conçu dans le but de supprimer le mouvement des New Age Travellers, mouvement qui avait débuté dans les années 80. En effet, de nombreux jeunes avaient quitté leur quartier pour s’installer sur d’immenses terrains vagues afin d’y danser jusqu’à pas d’heure.

“Le Justice Act a fini par couvrir la musique rave, rendant illégal les rassemblements en grand nombre ainsi que l’écoute d’un certain type de musique. J’avais assisté à cette manifestation mais pour finir, le projet de loi a été adopté et à ce jour, il est toujours en vigueur. En soi, est-ce que les gens y prêtent attention ? Oui et non. La police a beaucoup de mal à faire respecter la loi et choisira souvent de travailler avec les organisateurs de ces raves plutôt que de mettre fin à un grand rassemblement illégal. Il arrive parfois qu’elle la fasse respecter intégralement, qu’elle prenne le matériel de sonorisation ou encore qu’elle arrête des gens. On ne sait jamais ce que la police fera” explique Dave

Criminal Justice Act, Mars 1994 © Matthew Smith

Criminal Justice Act, Mars 1994 © Matthew Smith

La techno underground bat son plein

Tout comme le mouvement punk, la techno n’est plus qu’un simple style de musique. C’est devenu une véritable énergie, une manière de vivre : en quelque sorte le «nouveau punk». On retrouve The Prodigy, ce groupe électro rock qui a puisé ses inspirations dans les raves anglaises pour ses premiers singles et qui ont adopté la réalisation façon DIY, ou même encore le crew Spiral Tribe, ces travelers vivant dans des camions et répandant la rave partout sur leur passage. Compte tenu du Justice Act, le besoin de trouver de nouveaux moyens de faire la fête et de contourner la loi discrètement se fait ressentir. La mouvance underground de la techno en Angleterre s’est alors intensifiée.

C’est donc dans ce contexte tendu que le label Stay Up Forever voit le jour en 1993, à l’initiative de Chris, Aaron et Julian Liberator. Ils cherchaient à recréer un son qui reflétait le même état d’esprit et la même énergie que les fêtes underground londoniennes : de la techno accompagnée de grosses lignes acid. C’est ainsi que l’Acid UK, ou Acid Punk, est née. Au fil du temps, ce sont les deejays Lawrie Immersion, Gizelle aka Rebel Yelle, D.A.V.E the Drummer, Guy McAffer aka The Geezer ou encore un peu plus tard le fameux Sterling Moss qui ont rejoint la SUF.

D.A.V.E. The Drummer jouant de la batterie, 1986.

D.A.V.E. The Drummer jouant de la batterie, 1986.

La vie musicale londonienne se développe

À cette époque, les styles joués dans les raves londoniennes étaient principalement de l’acid house ou de la jungle. Mais aussi, et à moindre dose, des styles venant d’autres pays européens comme le gabber ou encore la trance. Et c’est là qu’intervient le fameux label Stay Up Forever. Comme il était difficile pour eux d’acheter de la musique qui leur ressemblait, ils décidèrent de la créer façon DIY -Do It Yourself- à la manière des punks, et de les jouer dans des squats et free de l’époque. 

Nous avons pu échanger avec certains d’entre eux à ce sujet!

D.A.V.E The Drummer :

A l’époque, vers 1988, j’ai fait partie d’un groupe de ska/punk appelé Back To The Planet. Nous vivions dans des squats et jouions dans les rues, ainsi que dans de nombreux festivals dans toute l’Europe et le Royaume-Uni. J’ai quitté le groupe et je me suis mis à la techno vers 1993. Le punk a été un facteur déterminant dans la scène techno, surtout au Royaume-Uni, peut-être un peu plus qu’ailleurs. […] Il a appris aux gens que la force des idées musicales simples liées à une philosophie forte fonctionne aussi bien que les techniques musicales complexes. […] La musique punk est peut-être différente de la techno en termes d’instrumentation, mais on entend toujours des éléments de rythmes punks et des nappes puissantes et agressives dans certaines productions de musique électronique.”

“L’acid techno a vraiment été énormément influencé par la culture punk… Les autres styles pas tant que ça… La scène acid techno anglaise est très DIY et a une atmosphère de liberté qui ressemble beaucoup au mouvement punk.” nous a expliqué Guy McAffer.

Guy McAffer (à gauche) posant avec la police lors du Urban Free Festival, juillet 1993 © Martyn Goodacre

Guy McAffer (à gauche) posant avec la police lors du Urban Free Festival, juillet 1993 © Martyn Goodacre

En ce qui concerne leurs pochettes aux illustrations faites maison, tous se sont inspirées de cet esprit punk de l’époque. Leurs disques ont été réalisés dans des studios autofinancés (et le tout en petite série). Comme les punks, les artistes ont voulu traduire leur mode de vie et leur identité propre dans leur musique.

Studio de D.A.V.E. The Drummer où la plupart des premiers tracks de la SUF ont été réalisés, 1995.

Studio de D.A.V.E. The Drummer où la plupart des premiers tracks de la SUF ont été réalisés, 1995.

Quel impact sur la techno aujourd’hui?

La scène de nos jours a beaucoup évolué et véhicule moins l’esprit libertaire qu’ont connu ces artistes et cette énergie qui les a inspirés dans leur création. Aujourd’hui, elle n’est plus au stade d’expérimentation et certains DJs sont donc devenus des célébrités au cachet toujours plus élevé. 

“La techno d’aujourd’hui est presque devenue “pop” ou encore commerciale. J’aime toujours cette musique mais j’ai du mal avec cette nouvelle génération de “DJs stars”, nous a confié Dave The Drummer. 

D.A.V.E The Drummer :

“J’ai essayé de la comprendre, mais je n’aime pas. Je n’aime pas ce qu’elle représente et ce qu’elle enseigne aux nouveaux venus de la scène rave. C’est trop superficiel : ça donne trop d’importance à l’apparence, au nombre de fans que vous avez et il n’y a pas assez de gens qui s’intéressent vraiment à la musique et à la scène à proprement parler. Je trouve que c’est en train de devenir une industrie plastique qui n’est pas vraiment différente de la musique commerciale de quelque façon que ce soit. […]

Sinon, au delà de cet aspect, la techno en ce moment est VRAIMENT putain de bonne, il y en a ÉNORMÉMENT, beaucoup plus que dans les années 90. Il faut pas mal digger (creuser, chercher de nouvelles musiques). Je reçois énormément de démos et de promos et je les écoute toujours. On trouve des morceaux inconnus, faits par des gens que personne ne connaît et qui font clairement avancer la scène ! Alors ouais, j’emmerde les DJs “pop-stars” et vive l’underground.”

Guy McAffer :

J’adore le côté très underground et pas vraiment le côté commercial de la techno… Cependant, il y a du bon et du mauvais dans tous les aspects à mon sens…”

Aujourd’hui le style “acid punk” créé par Chris Liberator, Dave The Drummer, Guy McAffer et tant d’autres, a largement influencé la scène acid techno actuelle. Parmi eux, JKS ou Mayeul du label français Molekül sur lequel les fameux Chris Liberator, The Geezer et Sterling Moss ont sorti les titres “We Have Lost The Way” et “Molecule”. Les sonorités agressives de la TB-303 résonnant dans une ambiance techno galopante, sonnant comme un hommage aux anciennes raves d’Angleterre. On peut également rappeler que nos deux jeunes français ont été récemment invités au festival ACID PUNK ROYALE en 2018 en Sardaigne – le festival qui rassemble toutes les meilleures têtes du style.

Il y a aussi le label acidcore cultissime Obs.Cur, fondé en 2008 et renommé dernièrement Cult Collective. Les inspirations acid et punk de leurs titres sont diffusées massivement dans les free party françaises, et reflètent cette nouvelle vague de musique acid qui déferle sur l’Europe depuis déjà une décennie. 

Enfin, il y a la toute jeune association rennaise Mikrokosm composée entre autres des deux producteurs Teokad et Dica, dont nous entendrons très certainement parler d’ici peu. Ces deux petits gars nous plongent dans un style acid techno intense avec un rythme très soutenu et des nappes de TB-303 ravageurs. On vous laisse apprécier un extrait du live de DICA

Le style acid techno UK ou “acid punk” ne s’est pas encore totalement évanoui, et semble même avoir encore quelques belles années d’influence devant lui…

 


Article corédigé avec Elle et Rave Renegade.

Remerciements/thanks to : Dave The Drummer, Guy Mc Affer, Benj 303, Aaron Liberator et TEOKAD.

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