Après le Royaume-Uni, voilà que la Belgique et la France sont elles-aussi frappées par ce qui semble être une vague d’agressions au GHB. Libération de la parole face à la banalisation de la culture du viol? Conséquences d’une utilisation croissante et malveillante d’une drogue mal connue? Explications sur le GHB, ses modes de consommation détournés, et les difficultés auxquelles doivent faire face les différents acteurs de la nuit pour assurer la sécurité des fêtards.
“Au delà de 1mL, on peut en mourir”
Connue sous le nom de la drogue du violeur, le GHB (acide gamma-hydroxybutyrique) est un stupéfiant utilisé à des fins récréatives depuis le début des années 90. Généralement consommée sous forme de gouttes dont le dosage (entre 0.2 et 0.5mL, voire 1 à 1.5mL pour les habitués) s’effectue via une pipette, cette drogue est réputée pour ses effets relaxants et désinhibants semblables à l’alcool.
“Elle agit au bout de dix à vingt minutes. On ressent une vague de chaleur, puis les effets durent entre deux et quatre heures. On est euphorique et la libido est accrue”, explique Illia Sarkissiane, chargé de projet du Modus Fiesta, un lieu d’accueil communautaire pour les consommateurs/trices de drogues récréatives à Bruxelles.
Mais tout comme l’alcool, le GHB est un dépresseur nerveux qui comporte de nombreux risques, parfois mortels.
“En mélangeant GHB et alcool, on augmente les effets et les risques. Au delà de 1mL on peut tomber dans un coma, ressentir des difficultés respiratoires, un ralentissement des battements du cœur, convulser et même mourir», poursuit le jeune homme.
Difficilement trouvable sur le marché noir, les amateurs se tournent généralement vers une autre molécule dont l’absorption par le corps permet de sécréter du GHB: l’acide gamma-butyrolactone ou GBL. Vendue sous forme de solvant industriel, elle a l’avantage d’être peu onéreuse.
“C’est le GHB version low cost. Un litre de GBL c’est 70 euros. Avec 100mL, tu fais une centaine de pipettes. Il y a des dealers qui le revendent 400 euros et qui se font un paquet d’argent. Mais voilà, ça reste ultra nocif. Une fois j’en ai fait tomber sur mon ordi, ça a fait un trou dedans», confie Pierre (prénom modifié), un ancien consommateur.
C’est ainsi qu’en prenant seulement une goutte, les consommateurs retrouvent l’énergie pour poursuivre la fête, parfois plusieurs jours sans s’arrêter.
“C’est super banalisé pendant les afters, entre les gens qui en prennent. En général les personnes avec qui j’étais espaçaient leur prise d’une heure. Il y avait ceux qui prenaient une dose trop forte puis qui s’endormaient. Et ceux superactifs qui se comportaient comme des animaux et se roulaient par terre…», ajoute Pierre.
Si la consommation de GBL n’est pas nouvelle, elle semble s’être élargit aujourd’hui à des cercles de fêtards plus conscients des dangers, favorisant la visibilité des problématiques.
“La fermeture de certains établissements après le confinement a encouragé les consommateurs non-avertis de GHB à se tourner vers le milieu de la rave/free, dont la culture de santé/RdR a amélioré la rapidité des témoignages”, explique Estelle, à la tête de CEBI (Création d’Espaces Bienveillants et Inclusifs), une micro-entreprise dédiée au conseil et à la formation en Réduction des Risques.
La soumission chimique: un problème de comportement
Une autre particularité du GHB est qu’il disparait rapidement de l’organisme (moins de 12 heures dans les urines et quelques heures dans le sang). Il est donc très difficile de prouver que l’on a été victime de soumission chimique (administration d’une substance psychoactive à l’insu d’une personne), ce qui contribue à renforcer le “mythe” de la drogue du violeur. Mais, comme le rappelle Illia, le GHB est loin d’être la seule substance capable de soumettre chimiquement un individu.
“Il y a pleins d’autres drogues qui peuvent permettre la soumission chimique. A commencer par l’alcool, mais aussi les somnifères, et les antidépresseurs comme le Xanax ou Lexomil. D’ailleurs la plupart des analyses de sang révèlent que c’est du benzodiazepine.»
Pour Estelle, qui travaille depuis plus de 20 ans dans le milieu festif, il est important de comprendre que la soumission chimique est un problème de comportement et non de substance. De la même manière que le mouvement #metoo, #balancetonbar est ainsi l’illustration d’une libération de la parole face à une banalisation de la culture du viol. Il est également important de souligner qu’un abus peut aussi s’effectuer suite à la prise volontaire d’une drogue.
“J’ai déjà vu des filles en after prendre du GBL pour rigoler et qui sont tombées dans des comas éveillés après des doses trop importantes. Et puis il y a des mecs qui en ont profité.“, se souvient Pierre.
Comment repenser le monde de la nuit?
Face à des témoignages d’agression de plus en plus abondants, certains acteurs de la fête ont décidé d’agir. C’est le cas de Pablo de Swarte, du collectif Dusk Records, qui mise sur une communication “anti GHB” depuis qu’il a vu les conséquences de cette drogue sur ses amis.
“On rabâche en anglais et français sur nos pages qu’on a zéro tolérance sur ce produit. Ça refroidit certains consommateurs de GHB mais ça n’a pas empêché qu’on ait eu des soucis pendant nos soirées.”
Mais à l’entrée, les fouilles réalisées par les vigiles n’empêchent pas les consommateurs de GBL de passer avec leurs gouttes et pipettes. Pour Nathan, chef de projet du Nexus, repenser la sécurité constitue ainsi un véritable casse-tête.
“Le problème du GHB c’est que ce sont des fioles toutes petites. Et ce n’est pas la seule drogue qu’utilisent les prédateurs. Notre difficulté consiste à trouver l’équilibre entre la prévention et le respect dû au public qu’on ne peut pas fouiller comme s’ils étaient tous suspects. C’est ce point d’équilibre qu’on cherche pour assurer une expérience safe à nos clients. On y travaille activement, on espère que le public sera compréhensif et qu’il nous aidera aussi dans cette démarche.»
Selon Estelle, qui aide les clubs à adopter les bons protocoles, la consommation de substances en club est inévitable, tout comme le risque zéro: il est donc nécessaire d’avertir et sensibiliser les participants en amont, pendant, et après la soirée afin de créer l’autonomie et la solidarité entre les participants.
“Il faut communiquer sur les risques de la soirée sans mettre de paranoïa, inciter les participants à ne pas lâcher leurs potes qui sont bourrés… On ne peut pas se reposer uniquement sur l’établissement, il faut créer des valeurs communes.”
Heureusement, la libération de la parole face aux agressions sexuelles a donné naissance à de nombreuses associations comme Consentis, Plus Belle La Nuit, Sexy Soucis, Fêtez Clairs, qui interviennent concrètement sur le terrain. C’est le cas aussi d’O Positif.ve, qui met place des dispositifs au cours de ses soirées au Nexus.
“On a des brigades de bienveillance visibles que tout le monde peut interpeller en cas de problème. On installe aussi un espace pour les stands de RdR de L’Amicale. Et on propose aussi des sorties de club groupées pour permettre d’accompagner les gens jusqu’à leur transport”, explique Guillaume, président de l’association.
Mais pour Estelle, véritable coach de la nuit, il faut aller au delà des simples actions ponctuelles et mettre en place des protocoles dans chaque établissement.
“La question n’est pas de savoir si mais quand ça va arriver et si l’établissement est capable de le prendre en charge. Il faut être préparé et former les membres aux problématiques de comportements.”
Voici ainsi quelques actions proposées au sein de ses protocoles:
Noter l’hôpital et le commissariat le plus proche
Connaître les recoins cachés du club
Mettre en place un code au bar pour sécuriser un client
Installer des téléphones rouges en cas de problème pendant la soirée
(…)
Pour iel, il faudrait même aller jusqu’à accompagner les responsables d’actes malveillants afin d’éviter qu’ils soient relâchés dans la rue et qu’ils constituent de nouveau un danger pour les personnes dehors.
De toute façon, comme le rappelle Pablo de Dusk Records, un club aura beau forcer un individu à sortir de son établissement, il aura légalement la possibilité de revenir plus tard.
Les limites financières et juridiques
C’est donc toute la fête qu’il faut repenser pour permettre aux teufeurs d’apprécier leurs soirées en toute sécurité. Certaines boites de nuit ont déjà commencé à prendre des mesures. Mais la plupart d’entre-elles représentent un coût qui s’ajoute aux difficultés financières cédées par la pandémie.
“Ce week-end, on aura des brigades de bienveillance identifiables, des affiches réalisées par Consentis et une safe zone en sortie de club pour attendre les transporteurs. Et viendront aussi les capotes de protection pour verres”, explique Nathan (Nexus).
Les bars et les clubs ne sont d’ailleurs pas les seules à manquer de ressources. Car si des bénévoles sont effectivement volontaires pour prévenir les noctambules des dangers qu’ils encourent, les équipes fixes sont souvent trop peu nombreuse et manquent de formations. Leur demande ? Une reconnaissance financière et professionnelle de leurs activités, mais aussi du problème que pose aujourd’hui la politique française en matière de prévention sur les drogues:
“Souvent les clubs ne veulent même pas entendre parler de stands de prévention car ils ne veulent pas avoir une enquête administrative sur le dos”, soupire Guillaume (O Positif.ve).
Crédit photo de couverture : ©PHOTOPQR/LA PROVENCE/VALLAURI Nicolas ; [Photo via MaxPPP]